Chapitre XXV

 

Telle pasteur de Thrace, armé d’un fer aigu,

Guette le sanglier auprès d’un bois touffu ;

Il devine sa marche à travers le feuillage,

Et voit de loin plier la branche à son passage :

Ah ! voici, se dit-il, mon cruel ennemi,

Un de nous deux enfin va succomber ici.

Dryden, Palémon et Arcite.

 

Je pris le chemin du collège, comme M. Jarvie m’y avait engagé, moins dans l’intention d’y trouver quelque objet qui pût m’intéresser ou m’amuser que pour mettre mes idées en ordre et méditer sur ma conduite future. J’errai dans ce vieil édifice d’un carré à l’autre, et de là dans les colleges-yards[89] ou promenade ; charmé de la solitude du lieu, la plupart des étudiants étant dans les classes, je fis plusieurs tours en réfléchissant sur la bizarrerie de ma destinée.

D’après toutes les circonstances qui avaient accompagné ma première entrevue avec Campbell, je ne pouvais douter qu’il ne fût engagé dans quelque entreprise désespérée, et la scène de la nuit précédente, jointe à la répugnance de M. Jarvie à parler de lui et de sa manière de vivre, tendait à confirmer ce soupçon. Il paraissait pourtant que c’était à cet homme que Diana Vernon n’avait pas hésité de s’adresser en ma faveur, et la conduite du magistrat envers lui offrait un singulier mélange de blâme et de pitié, de respect et de mépris. Il fallait donc qu’il y eût quelque chose d’extraordinaire dans la position et dans le caractère de Campbell ; mais ce qui l’était davantage, c’était que sa destinée parût devoir influer sur la mienne et s’y unir étroitement. Je résolus de serrer de près M. Jarvie à la première occasion, et de tirer de lui tous les détails que je pourrais en obtenir sur ce mystérieux personnage, afin de juger si je pouvais, sans compromettre mon honneur, avoir avec lui les relations qui semblaient devoir s’établir entre nous.

Tandis que je me livrais à ces réflexions, j’aperçus, au bout de l’allée dans laquelle je me promenais, trois personnes qui semblaient tenir une conversation très animée. Cette sorte de pressentiment, qui souvent nous annonce l’approche de ceux que nous aimons ou que nous haïssons fortement, convainquit mon esprit avant mes yeux que l’individu qui se trouvait au milieu était le détestable Rashleigh. Mon premier mouvement fut d’aller le trouver à l’instant ; le second, d’attendre qu’il fût seul, ou du moins de tâcher de voir quels étaient ses compagnons. Ils étaient si éloignés de moi, et si occupés de l’affaire qu’ils discutaient, que j’eus le temps de passer derrière une haie sans qu’ils m’aperçussent.

C’était alors la mode, parmi les jeunes gens, de porter par-dessus leurs vêtements, dans leurs promenades du matin, un manteau écarlate souvent brodé et galonné, et de l’arranger de manière à se couvrir une partie de la figure. Grâce à cette mode que j’avais adoptée, et à la faveur de la haie derrière laquelle je me trouvais et qui séparait les deux allées où nous nous promenions, je passai presque à côté de mon cousin sans qu’il me remarquât autrement que comme un étranger que le hasard avait amené dans le même lieu. Quelle fut ma surprise en reconnaissant dans ses deux compagnons ce même Morris, sur la dénonciation duquel j’avais paru devant le juge de paix Inglewood, et le banquier Macvittie, dont l’aspect m’avait prévenu la veille si défavorablement !

Je n’aurais pu me former l’idée d’une réunion de plus mauvais augure pour mes affaires et celles de mon père. Je n’avais pas oublié la fausse accusation de Morris contre moi, et je pensais qu’en l’intimidant il ne serait pas plus difficile de le déterminer à la renouveler qu’il ne l’avait été de le décider à la retirer. Macvittie, furieux d’avoir vu son prisonnier lui échapper, pouvait être disposé à entrer dans tous les complots, et je les voyais tous deux réunis à un homme dont les talents pour faire le mal n’étaient à mon avis guère inférieurs à ceux du malin esprit, et qui m’inspirait une horreur que rien ne pouvait égaler.

Quand ils se furent éloignés de quelques pas, je me retournai pour les suivre. Au bout de l’allée ils se séparèrent : Morris et Macvittie s’en allèrent ensemble, et Rashleigh revint sur ses pas. J’étais bien résolu à le joindre et à lui demander réparation de l’abus de confiance dont il s’était rendu coupable envers mon père, quoique j’ignorasse encore de quelle manière il pourrait le réparer. Je ne m’arrêtai point à faire de réflexions sur ce sujet : je rentrai dans l’allée où il se promenait d’un air rêveur, et je me montrai inopinément à ses yeux.

Rashleigh n’était pas un homme à se laisser surprendre ni intimider par aucun événement imprévu. Cependant en me voyant tout à coup devant lui, le visage enflammé par l’indignation qui m’animait, il ne put s’empêcher de tressaillir.

– Je vous trouve à propos, monsieur, lui dis-je, à l’instant où j’allais commencer un long voyage dans l’espoir incertain de vous rencontrer.

– Vous connaissez donc bien mal celui que vous cherchez, me répondit Rashleigh avec son flegme ordinaire : mes amis me trouvent aisément ; mes ennemis plus facilement encore. Votre ton m’oblige à vous demander dans laquelle de ces deux classes je dois ranger M. Francis Osbaldistone.

– Dans celle de vos ennemis, monsieur, de vos ennemis mortels, à moins que vous ne rendiez justice à l’instant même à votre bienfaiteur, à mon père, et que vous ne restituiez ce que vous lui avez enlevé.

– Et à qui, s’il vous plaît, M. Osbaldistone, moi qui ai un intérêt dans la maison de commerce de votre père, dois-je rendre compte de mes opérations dans des affaires qui sont devenues les miennes ? Ce n’est sûrement pas à un jeune homme à qui son goût exquis en littérature rendrait ces discussions fatigantes et inintelligibles ?

– Une ironie, monsieur, n’est pas une réponse. Je ne vous quitterai pas que vous ne m’ayez donné pleine satisfaction. Il faut que vous me suiviez chez un magistrat.

– Très volontiers.

Il fit quelques pas comme s’il avait eu dessein de m’y accompagner, et puis s’arrêtant tout à coup :

– Si j’étais porté à faire ce que vous désirez, vous verriez bientôt lequel de nous a plus de raisons pour craindre la présence d’un magistrat. Mais je ne veux pas accélérer votre destin. Allez, jeune homme, amusez-vous de vos visions poétiques, et laissez le soin des affaires à ceux qui les entendent et qui sont en état de les conduire.

Je crois que son intention était de me provoquer, et il en vint à bout. – M. Rashleigh, lui dis-je, ce ton de calme et d’insolence ne vous réussira point. Vous devez savoir que le nom que nous portons tous deux ne subit jamais volontairement l’humiliation, et jamais il ne sera exposé en ma personne.

– Vous me rappelez qu’il l’a été dans la mienne, s’écria-t-il en me lançant un regard féroce, et par qui il a été souillé de cette tache. Croyez-vous que j’aie oublié la soirée où vous m’avez impunément outragé à Osbaldistone-Hall ? Vous me rendrez raison de cet outrage qui ne peut se laver que dans le sang ; nous aurons aussi une explication sur l’obstination avec laquelle vous avez toujours contrarié mes desseins, et sur la folle persévérance qui vous porte à contrecarrer en ce moment des projets qui vous sont inconnus, et dont vous êtes incapable d’apprécier l’importance. Un jour viendra, monsieur, où vous aurez à m’en rendre compte.

– Quand ce jour sera arrivé, monsieur, vous me trouverez tout disposé. Mais parmi vos reproches vous oubliez le plus important : j’ai aidé le bon sens et la vertu de miss Vernon à démêler vos artifices, à reconnaître votre infamie.

Je crois qu’il aurait voulu m’anéantir par les éclairs qui partaient de ses yeux. Cependant le son de sa voix ne perdit rien du calme qu’il avait affecté pendant cette conversation.

– J’avais d’autres vues pour vous, jeune homme, des vues moins hasardeuses, plus conformes à votre caractère et à votre éducation. Mais je vois que vous voulez attirer sur vous le châtiment que mérite votre insolence puérile. Suivez-moi donc dans un endroit plus écarté, où nous ne courions pas le risque d’être interrompus.

Je le suivis, ayant l’œil sur tous ses mouvements, car je le croyais capable de tout. Il me conduisit dans une espèce de jardin planté à la manière hollandaise, en partie entouré de haies, et dans lequel il se trouvait deux ou trois statues. Je me tenais en garde et j’avais bien raison de le faire, car son épée était à deux doigts de ma poitrine avant que j’eusse eu le temps de tirer la mienne, et je ne dus la vie qu’à quelques pas que je fis en arrière. Il avait sur moi l’avantage des armes, car son épée était plus longue que la mienne, et à triple tranchant comme on les porte généralement aujourd’hui, tandis que la mienne était ce qu’on appelait alors une lame saxonne, étroite, plate, et moins facile à manier que celle de mon ennemi. Sous les autres rapports la partie était égale ; car, si j’avais l’avantage de l’adresse et de l’agilité, il avait plus de vigueur et de sang-froid. Il se battait pourtant avec plus de fureur que de courage, avec un dépit concentré et une soif de sang cachée sous un air de tranquillité qui donne aux plus grands crimes un nouveau caractère d’atrocité en les faisant paraître le résultat d’une froide préméditation. Le désir qu’il avait de triompher ne le mit pas un instant hors de garde, et il n’oublia jamais de se tenir sur la défensive, tout en méditant les plus vives attaques.

Je me battis d’abord avec modération. Mes passions étaient violentes, mais non haineuses ; et une marche de trois ou quatre minutes m’avait donné le temps de réfléchir que Rashleigh était neveu de mon père, que le sien m’avait témoigné de l’amitié à sa manière, et que, si je le perçais d’un coup mortel, je plongeais dans le deuil toute sa famille. Mon premier projet fut donc de tâcher de désarmer mon adversaire ; et, plein de confiance dans les leçons d’escrime que j’avais prises en France, je ne croyais pas devoir éprouver beaucoup de difficulté dans cette manœuvre. Mais je ne tardai pas à reconnaître que j’avais affaire à forte partie ; et, m’étant vu deux fois sur le point d’être touché, je fus obligé de songer à la défensive. Peu à peu la rage avec laquelle Rashleigh cherchait à m’arracher la vie m’enflamma de colère, et je ne songeai plus à user de ménagement. Enfin, l’animosité étant égale des deux côtés, notre combat semblait ne devoir finir que par la mort de l’un de nous. Peu s’en fallut que je ne fusse la victime. Mon pied glissa, je ne pus parer un botte que Rashleigh me porta en ce moment, et son épée traversant mon habit effleura légèrement mes côtes ; mais il avait allongé ce coup avec une telle force que la garde de l’épée, me frappant violemment la poitrine, me causa une vive douleur et me fit croire que j’étais blessé à mort. Altéré de vengeance, et convaincu qu’il ne me restait qu’un instant pour la satisfaire, je saisis de la main gauche la poignée de son épée, et, levant la mienne de la droite, j’étais sur le point de l’en percer, quand un nouvel acteur parut sur la scène.

Soudain un homme se jeta entre nous, et, nous séparant, il s’écria d’une voix d’autorité : Quoi ! les fils de ceux qui ont sucé le même lait veulent répandre leur sang, comme si ce n’était pas le même qui coulât dans leurs veines ! Par le bras de mon père ! celui qui portera le premier coup périra de ma main.

Je le regardai d’un air de surprise : c’était Campbell. Tout en parlant il brandissait sa lame écossaise autour de lui, comme pour nous annoncer une médiation armée. Rashleigh et moi nous gardions le silence. Campbell alors nous adressa la parole successivement.

– M. Francis, croyez-vous rétablir les affaires et le crédit de votre père en coupant la gorge de votre cousin ou en restant étendu dans le parc du collège de Glascow ? Et vous, M. Rashleigh, croyez-vous que les hommes de bon sens confieront leur vie et leur fortune à un homme qui, chargé de grands intérêts politiques, se prend de querelle comme un ivrogne ? Ne me regardez pas de travers, M. Rashleigh ; et, si vous trouvez mauvais ce que je vous dis, vous savez que vous êtes le maître de quitter la partie.

– Vous abusez de ma situation, répondit Rashleigh ; sans cela vous n’oseriez vous mêler d’une affaire où mon honneur est intéressé.

– Je n’oserais ! Allons donc ! Et pourquoi n’oserais-je ? Vous pouvez être plus riche que moi, j’en conviens ; plus savant, je ne le nie point : mais vous n’êtes ni plus beau, ni plus brave, ni plus noble ; et ce sera une nouvelle pour moi quand on m’apprendra que vous valez mieux... Je n’oserais ! j’ai pourtant déjà osé bien des choses ! je crois que j’ai fait autant de besogne qu’aucun de vous deux, et je ne pense plus le soir à ce que j’ai fait le matin.

Rashleigh pendant ce discours s’était rendu maître de sa colère ; il avait repris son air calme et tranquille.

– Mon cousin reconnaîtra, dit-il, qu’il a provoqué cette querelle ; je n’y ai pas donné lieu. Je suis charmé que vous nous ayez séparés avant que je lui eusse donné une leçon plus sévère.

– Êtes-vous blessé ? me demanda Campbell avec une apparence d’intérêt.

– Ce n’est qu’une égratignure, répondis-je ; et mon digne cousin ne s’en serait pas vanté longtemps si vous ne fussiez arrivé.

– En bonne conscience, M. Rashleigh, dit Campbell, c’est une vérité, car l’acier allait faire connaissance avec le plus pur de votre sang quand j’ai arrêté le bras de M. Francis. Ainsi ne faites pas sonner bien haut votre victoire, et n’ayez pas l’air d’une truie jouant de la trompette. Mais allons, qu’il n’en soit plus question ; suivez-moi : j’ai à vous apprendre des nouvelles, et vous vous refroidirez comme la soupe de Mac-Gibbon quand il la met à la fenêtre.

– Excusez-moi, monsieur, m’écriai-je, vous m’avez témoigné de l’amitié et rendu service en plus d’une occasion ; mais je ne puis consentir à perdre de vue ce misérable avant qu’il m’ait rendu les papiers qu’il a volés à mon père, et qu’il l’ait mis par là en état de remplir ses engagements.

– Jeune homme, dit Campbell, vous êtes fou. Vous aviez tout à l’heure à vous défendre des attaques d’un seul homme, voulez-vous maintenant en avoir deux contre vous ?

– Vingt s’il le faut. Il me suivra.

En parlant ainsi, je saisis Rashleigh par le collet : il ne m’opposa aucune résistance ; et se tournant vers Campbell, il lui dit d’un air dédaigneux :

– Vous le voyez, Mac-Gregor, il se précipite au-devant de sa destinée ! Est-ce ma faute s’il ne veut pas s’arrêter ? Les mandats sont maintenant délivrés et tout est prêt.

Le montagnard parut embarrassé. Il regarda derrière lui, à droite, à gauche, et dit : – Jamais je ne consentirai un instant qu’il soit tourmenté pour avoir pris les intérêts de son père ; et je donne la malédiction de Dieu et la mienne à tous les magistrats, juges de paix, prévôts, baillis, shériffs, officiers de shériffs, constables, enfin à tout le bétail noir qui depuis un siècle est la peste de l’Écosse. C’était un heureux temps quand chacun se chargeait de faire respecter ses droits, et que le pays n’était pas empoisonné de cette maudite engeance. Mais je vous le répète, ma conscience ne me permet pas de souffrir qu’il soit vexé, et surtout de cette manière. J’aimerais mieux vous voir de nouveau mettre l’épée à la main et vous battre en honnêtes gens.

– Votre conscience, Mac-Gregor ! dit Rashleigh avec un sourire ironique : vous oubliez que nous nous connaissons depuis longtemps.

– Oui, ma conscience, répéta Campbell, ou Mac-Gregor, quel que fût son nom.. Oui, M. Rashleigh, j’en ai une, et c’est ce qui fait que je vaux mieux que vous. Quant à notre connaissance, si vous me connaissez, vous savez quelles sont les causes qui m’ont fait ce que je suis ; et quoi que vous en pensiez, je ne changerais pas ma situation avec celle du plus orgueilleux des persécuteurs qui m’ont réduit à n’avoir sur ma tête d’autre toit que la voûte des cieux. Moi, je vous connais aussi, je sais ce que vous êtes ; mais pourquoi êtes-vous ce que vous êtes, c’est ce que vous savez seul, et ce que nous n’apprendrons qu’au dernier des jours. Maintenant, M. Francis, lâchez son collet, car il a raison de dire que vous seriez plus en danger que lui devant un magistrat. Soyez bien sûr que, quelque blanc que vous puissiez être, il trouverait le moyen de vous faire paraître plus noir qu’un corbeau. Ainsi donc, comme je vous le disais, lâchez son collet.

Il joignit le geste à l’exhortation, et, me tirant vigoureusement par le bras à l’improviste, il débarrassa Rashleigh, et, me retenant dans ses bras, m’empêcha de le saisir de nouveau : – Allons, M. Rashleigh, dit-il en même temps ; profitez du moment. Un bonne paire de jambes vaut deux bonnes paires de bras. Ce n’est pas la première fois que vous vous en serez servi.

– Cousin, dit Rashleigh, vous pouvez remercier Mac-Gregor si je ne vous paie pas ma dette tout entière. Si je vous quitte en ce moment, c’est dans l’espoir de trouver bientôt une occasion pour m’acquitter envers vous sans courir le risque d’être interrompu.

En parlant ainsi, il essuya son épée qui était tachée de quelques gouttes de sang, la remit dans le fourreau et disparut.

L’Écossais employa autant la force que les remontrances pour m’empêcher de le suivre, et véritablement je commençais à croire que cela ne me servirait à rien.

Lorsqu’il vit que je ne cherchais plus à lui échapper et que je paraissais devenir plus tranquille : – Par le pain qui nous nourrit, me dit-il, je n’ai jamais vu un homme plus obstiné. Je ne sais ce que j’aurais fait à tout autre que vous qui m’aurait donné la moitié autant de peine pour le retenir. Que vouliez-vous faire ? Auriez-vous suivi le loup dans sa caverne ? Je vous dis qu’il a tendu ses filets pour vous prendre. Il a retrouvé le collecteur Morris, il lui a fait rendre une nouvelle plainte contre vous, et je ne puis ici venir à votre secours, comme chez le juge de paix Inglewood. Il ne convient pas à ma santé de me trouver sur le chemin des baillis whigamores. Retirez-vous donc comme un honnête garçon, et tirez le meilleur parti des circonstances en cédant à propos. – Évitez la présence de Rashleigh, de Morris et de l’animal Macvittie. Songez au clachan d’Aberfoil ; et, comme je vous l’ai dit, foi de gentilhomme, justice vous sera rendue. Mais tenez-vous tranquille jusqu’à ce que nous nous revoyions, et vous ne me reverrez plus qu’au rendez-vous que je vous ai donné, car je pars. Je vais pourtant renvoyer Rashleigh de Glascow, car il n’y tramerait que du mal. Adieu, n’oubliez pas le clachan d’Aberfoil.

Il partit, et m’abandonna aux réflexions que faisaient naître en moi les événements singuliers qui venaient de m’arriver. Je repris mon manteau, que j’ajustai de manière à cacher le sang qui avait taché mes habits : à peine m’en étais-je couvert que les classes du collège s’ouvrirent, et que la foule des écoliers remplit la prairie et le parc. Je rentrai dans le cœur de la ville, et, voyant une petite boutique au-dessus de la porte de laquelle on lisait cette enseigne : Christophe Nelson, Chirurgien et Apothicaire, j’y entrai, et demandai à un petit garçon qui pilait quelques drogues dans un mortier de me procurer une audience du savant pharmacopole. Il m’introduisit dans une arrière-boutique où je trouvai un vieillard encore vert qui branla la tête d’un air d’incrédulité, lorsque je lui dis qu’en faisant des armes avec un de mes amis, son fleuret s’était cassé et m’avait légèrement blessé au côté. – C’est une véritable égratignure, me dit-il en pansant la blessure, mais il n’y a jamais eu de bouton au bout du fleuret qui vous a touché. Ah ! jeune sang, jeune sang ! Mais nous autres chirurgiens, nous sommes une race discrète. Et puis, sans le sang trop bouillant et le mauvais sang, que deviendraient les deux savantes facultés ?

Il me congédia avec cette réflexion morale, et le peu de douleur que m’avait causée ma blessure ne tarda pas à se dissiper.